LETTRE DE BALTHAZAR (33)
De Jacaré (Paraiba, Brésil) à Kourou (Guyane)
du Vendredi 8 Avril 2011 au Samedi 16 Avril
Mercredi 13 Avril 01°54’N 44°23’W il est 17h45. TU
Balthazar a changé de capitaine et la Lettre, donc, de rédacteur.
En effet, après une course contre la montre échevelée depuis Santos, sans même un regard pour la baie de Rio de Janeiro, Jean-Pierre D’ALLEST (JPDA) a finalement pu, comme prévu, sauter dans son avion à Joao-Pessoa à destination de Paris. Et ce vendredi 8 avril, me voila, Jean-Pierre MERLE (JPM), en charge de conduire ce valeureux bateau jusqu’en Martinique. Et là encore un rendez-vous impérieux est fixé à Fort de France pour le lundi 26 Avril avec les soigneurs capables de panser les blessures infligés par la foudre lors de l’escale à Rio Grande do Sul : de nouveau se profile un con voyage sans marge ou presque pour profiter des Grenadines ! Enfin, l’optimiste regarde toujours le contenu plutôt que le manque, et quant on sait que l’optimisme est une question de volonté, tout est espoir !
A Jacaré, l’équipage de JPM et Marc JAFFREZIC (Marco) s’est complété de Michèle DURAND (Mich) et de Martine et Jacques BOUCHET. Ces 3 compères sont venus de Kourou via le Brésil sauvage lors d’une excursion typée, avec dune-buggy, pirogues, gites et nourritures de toutes sortes, histoire d’arriver encore plus jeunes a Cabedelo-Jacaré.
Tout était mûrement planifié pour garantir des formalités de départ en douceur, avec la présence et le soutient de JPDA, propriétaire en titre.
Seul grain de sable : les douaniers ne travaillent pas l’après-midi et surtout pas ce jeudi sur le seul créneau qui restait avant le taxi de JPDA à 4h le lendemain.
Que voulez-vous, il faut croire que même les skipper nouveaux ont droit au bizuthage !
Car, sans JPDA, l’équipage au complet s’est courageusement présenté dès potron-minet le lendemain aux 3 stations du chemin de croix du plaisancier : la police, la douane, la capitainerie.
La police doit viser les passeports et autoriser la sortie du pays des personnes : facile sauf que cette langue extra-terrestre prête à confusion, que pour sortir il faut être rentré et pas seulement à Rio Grande, que l’officier a fait une entrée à Paraibo mais pas de sortie et que je ne l’ai su qu’après, à la douane…
La douane, c’est le plat de résistance ! Bernardo le chauffeur de taxi connaît bien le parcours et sait qu’il faut attendre des heures, le problème est ailleurs !
Pour faire court, il apparaît 1/qu’il faut retourner à la police, 2/ que seul le propriétaire JPDA peut légalement signer le dédouanement de sortie de Balthazar, aie ! Après moult baragouinages, apparaît un douanier ( ?) anglophone, qui finit par admettre qu’on a un problème, que JPDA est en transit à Rio, mais que si je peux avoir un mandat signé comme sur les documents d’entrée il accepterait ma signature pour autoriser la sortie, qu’il est 11h passée et que la douane ferme à 13h ; sinon, après être repassé à la police, nous pouvons partir mais Balthazar est consigné et peut être confisqué s’il part quand même…
La suite s’impose : le policier mis au courant, par téléphone de la douane, tamponne rapidement passeports et document de sortie, super !
Retour sur Balthazar, rendez-vous avec Bernardo pour Midi, dans 20 minutes.
Vite, je fouille la table à cartes, il y a bien par là le papier pré-signé l’an dernier en vue de ma première prise en charge à Ushuaia, oui ! Vite, un peu de frappe, l’imprimante sort un mandat correct, retour à la douane avec Martine qui parle ( un peu?) extra-terrestre…
Ben non ! C’est pas OK ! Bernardo se renseigne, explique via Martine, qu’il faut revenir à 15h et que le responsable (anglophone ?) sera là pour ouvrir ! Je sens l’arnaque et refuse aussi courtoisement que fermement de sortir : j’attendrai assis là, sans manger, dans le froid des climatiseurs de fonctionnaires.
Bernardo négocie, obtient un nom et téléphone, appelle et annonce que c’est pour 14h … Je remercie et me cramponne encore plus à ma chaise !
Sombres pensées, vous allez voir que ma mission de skipper ne va pas dépasser le ponton de Jacaré ! Que Balthazar va devoir y passer l’été ! Que de conséquences !
Le pire n’est jamais sûr : à 12h55, notre anglophone bien-aimé passe la porte, écoute poliment l’explication par Martine que JPDA avait hier soir laissé le papier dans le bateau, prend mandat et documents, photocopie tout consciencieusement avec mon passeport et enfin, donne le précieux coup de tampon… C’est fou ce que ce bruit a du compter dans certaines vies …
Après la Capitainerie et un gros pourboire à ce cher Bernardo, le reste n’est plus que routine : repas rapide à bord déjà préparé par Mich, adieux à Philippe FEISSART de la marina, amarres larguées, chenal… Sentiment fort d’avoir sorti Balthazar de la nasse !
Bien, maintenant il n’y a plus qu’à faire un peu de voile.
Voire ! L’alizé du Sud-Est mollasson atteint à peine 8 nd et comme il nous faut 7 nd pour tenir les délais, le vent apparent de moins de 2 nd se fait oublier au profit du Perkins, dans la continuité de cette course depuis Rio Grande.
Les fichiers « grib » enregistrés sur « Passage Weather » avant le départ confirment les observations : il faudra faire avec ! Pour la suite, c’est l’inconnu car le mail par Iridium ne marche plus depuis la foudre.
Comme disait l’ami Jean-Gab : « la seule différence entre un poids-lourd bruyant et un voilier dans la pétole, c’est que le poids-lourd ne roule pas dans le même sens !. ». Heureusement Balthazar est silencieux et très endurant.
La vie s’organise, chacun a pris sa place et les quarts sont discutés sans problèmes : quarts de 2h, faciles avec un pilote qui marche bien : JPM de 21h à 23h ; Marco à 23h ; Jacques à 1h ; Martine (et Jacques pas loin) à 3h ; Mich (et JPM pas loin) à 5h. Les heures sont locales : TU-3 (Paris-5h )
La nuit tombe sans crépuscule le soir vers 18h, Nous sommes sortis de Capedelo (Jacaré, rio Paraiba) juste avant le coucher du soleil à 17h50 et nous relèverons chaque jour la distance GPS à cette heure (3700 au départ) pour vérifier que l’on tient les 170 Milles par jour prévus. Samedi 9 à 17h50, Balthazar a doublé Natal, position 4°30 S 35°14 W, dist3870 NM et a parcouru juste 170NM.
Et aussi ce samedi, vers 13h15, Marco a ferré une grosse prise ! Aidé de Jacques, ils ont remonté une superbe dorade chorifène (pardon si l’orthographe pèche, le poisson n’est pas mon fort) mesurée 1,20m, d’au moins 8 kg. Les cuisinières n’ont pas chômé non plus et le congélateur est plein de portions réparties et emballées avec soin.
Dimanche 10 Avril :
Voila qu’il est 17h50 : 2°52 Sud 37°30 W, au large de Fortaleza. Le compteur indique 4022 NM au GPS : nous avons fait 168NM par jour sur 48h, presque tout au moteur car l’alizé de SE est trop mollasson pour nous rattraper. Et cela se voit sur les fichiers météo de prévision de vent à 3 jours (Grib) enregistrés avant le départ le 7.
L’après-midi, en vue d’envoyer du Spi, j’ai inspecté derrière mon lit, la transmission du pilote qui grogne et cliquette parfois depuis deux jours, Oups ! Ces fameux croisillons qui ont fait l’histoire à Santos gigotent vilainement dans leurs chapes : 2 paliers sont desserrés aux trois-quart, et un troisième est déjà tombé dans les fonds ! Misère, encore un peu et c’était le débranchement de la transmission, son coincement probable contre la paroi, sa rupture sur un coup de barre affolé … Vite, la clé, revisser dur ; pas facile, la place manque et le pilote tourne bien que doucement et, très grave, je vais finir par mettre de la graisse sur le drap de Michèle ! Mais non, pour cette fois le pire est évité. Le pilote tourne beaucoup mieux bien que le point dur grinçant soit toujours là, dans le gros renvoi d’angle du bas ; il faudrait l’ouvrir pour décaler les pignons, 4 vis bien en vue, facile même en mer, mais vous savez quoi ? Il n’en est pas question ! Surtout pas ! Qui a dit que je ne savais pas contrôler mes désirs de bien réparer …
Peu confiants dans la fiabilité du pilote, nous envoyons le Gennaker au lieu du Spi. On pourrait croire que les vents sont des phénomènes sans rapport avec les activités humaines. Eh bien non ! Croyez-moi, c’est quasi sûr, il suffit de prendre un ris ou de diminuer la voilure pour que le vent tombe ! Il a fallu au moins 20 minutes et un bon paquet d’huile de coude pour gréer ce Gennaker, et à peine 10 minutes après, il a du être roulé et faire place au bon vieux Perkins seul capable présentement de tenir le calendrier. C’est la vie, et l’heure d’une bonne bière !
Lundi 11 Avril
Aujourd’hui, à 17h46, nous sommes en position 1°10S 39°36W, et avons abattu 177NM dont moins de la moitié au moteur !
Ce matin, rassuré par une nouvelle inspection, positive, des cardans du pilote, et désireux de ne pas consommer tout le gas-oil, j’opte pour le Spi. Sitôt avalé le café de 8h30, nous nous affairons à 3 sur tangon, hale-bas, drisse et bras pour raccorder le Spi et sa Chaussette dans le bon sens. En quelques minutes tout est prêt à hisser. Mais qu’est-ce que c’est que cette drosse déraillée en haut de la chaussette ?
Au fait, vous connaissez ce système de la chaussette ? Une fois le Spi hissé en tête de mat, c’est comme un préservatif géant et télescopique qui glisse le long de la voile pour la laisser se gonfler ou la dégonfler à la demande, ( on commente en silence, merci …)
Génial pour les plaisanciers âgés et les autres : maîtriser cette voile gigantesque se fait juste par la manœuvre d’une drosse qui fait l’aller-retour depuis le haut et fait replier ou descendre cet étui qu’est la chaussette. Sauf que, une fois le Spi gonflé, la chaussette doit pouvoir redescendre sinon bonjour la galère ; même chose si le zinzin se coince à mi-chemin. Alors pas question d’envoyer en tête de mat cette drosse déraillée !
Sacré Balthazar ! Comme un vieux combattant aguerri, il ne rate pas une occasion de maintenir son équipage au top du dépannage … Il s’avère qu’un écrou est complètement desserré, les flasques sont écartés et le réa a perdu beaucoup de billes que Jacques récupère une à une dans la toile. Bon, histoire connue, chercher une clé qui va pas trop mal, revisser les écrous, ajouter un contr’écrou par sécurité, ça marche, même sans les billes.
Nous voila sous voile, enfin, pour une journée tranquille. Contrairement aux usages, la dérive est restée en bas avec l’espoir exaucé de diminuer le roulis.
Parfait pour déguster le poulet au curry cuisiné par Michèle à Ushuaia et laissé dans le congélateur par les « Antarticiens » sans doute trop rassasiés de bonnes choses.
En fin d’après-midi, complications : le vent faiblit et fluctue curieusement, dans tous les sens, les gros nuages noirs des grains se succèdent, impossible de continuer à la voile. Personne ne l’a encore compris, mais nous sortons du Pôt au Noir : la ZIC est bien plus au sud qu’habituellement ! Plus tard, le vent se décide à s’établir au Nord-Est, pour longtemps : c’est l’alizé du Nord qui va nous tirer enfin de l’autre coté de cet immense Brésil.
Mardi 12 au Samedi 16 Avril
Voila bientôt l’Amazone …
Le dictionnaire dit que c’est le plus grand fleuve du monde : 7 000 km depuis les sources de l’Aparimac (Ah ?) dans les Andes, un bassin de 6 millions de km2, …
En tous cas, nous allons mettre plus de 2 jours à vitesse max (8 à 9 nd sur le fond !) pour passer de l’autre coté du delta : c’est du concret, impressionnant.
Nous naviguons au large, 100 NM au moins des côtes, pour éviter les mauvaises rencontres et profiter du courant de Guyane, et il n’y a rien à voir que le soleil et la mer à perte de vue, toujours pareille pendant des jours.
Curieuse sensation que ce sillage qui ne change rien : élan immobile dans un décor immuable et figé.
La mer s’étend d’un horizon à l’autre, à peine ridée, bleue ou verte selon qui regarde, certain ont dit qu’elle est ronde, c’est vrai. C’est la fin du temps …
Pourtant, Balthazar abat ses 175 à 180 NM par jours. Le vent est bon plein (70°), trop sur l’avant pour le Spi, mais bien pour le Gennaker. Sur la suggestion de Marco, nous avons répété la manœuvre d’enroulage dans la brise du soir, en abattant un max pour mettre le Gennaker sous le vent de la Grand-Voile : rassurés et prêts à affronter 16 ou 17 nd d’alizé-surprise, nous l’avons gardé la nuit, malgré la gite .
Et puis, voila, ce matin du samedi 16, une terre se devine à l’horizon : nous allons atteindre les Iles du Salut dans les délais, brave Balthazar !
Michèle a téléphoné à Madeleine, la patronne de l’Auberge des Iles, qui va revenir fissa-fissa de Kourou pour accueillir sa vieille amie. Balthazar a droit au corps-mort de Madeleine, comme en 2009 ; après une manœuvre sans faille en marche arrière, malgré les multiples conseils, recommandations, rappel à l’ordre conventionnel, voila ce fier navire bien arrimé entre son ancre et le précieux corps-mort prêté si gentiment. Il est 13h30 ; premier contrat rempli ! Les ty-punch ne sont plus qu’à un gonflement d’annexe.
Aux parents et ami(e)s qui nous font la gentillesse de s’intéresser à nos aventures nautiques
Equipage de Balthazar : Jean-Pierre Merle dit JP, Marco Jaffrezic, Martine et Jacques Bouchet et Michèle Durand.